Je constate ce soir que Robinson, non, n'est pas – plus – en grève, et un peu plus qu'à l'ordinaire je suis tenté de me dire vas-y, fais-le bon sang, chaque jour, chaque soir, prends exemple, parce que c'est un geste que j'estime. Celui de s'affronter à soi-même, d'essayer de donner sens et consistance à chaque jour qui passe, et, sans attendre, ou presque, que le temps ait mis notre vie à l'abri de toute rétroaction de ce geste hasardeux sur le cours de nos jours, sans filet, prendre le risque de le publier, d'en faire don à qui veut, à qui saura bien pourquoi il veut prendre sa part de cette autre-vie-que-la-sienne, et te permet de t'écrire.
Cette velléité, cependant, s'achoppe à une difficulté de taille, ou deux : non seulement je n'ai pas d'enfants (ni de chats), mais je mène une vie de traducteur presque aussi trépidante, presque aussi exposée aux aléas du monde – un peu moins en fait – qu'une vie d'Akaki Akakievitch – lequel n'avait pas l'internet mais, au moins, franchissait chaque jour la porte de chez lui pour aller travailler dans un certain ministère. Si bien qu'il me faudrait, chaque jour, commencer par dire si, oui ou non, j'ai quitté mon appartement – aujourd'hui non – puis élaguer tout ce sur quoi, pour une raison ou pour une autre, je juge ne pas pouvoir m'exprimer sur ce mode du journal en temps réel, tout ce qui me fait peur, tout ce qui me rend malheureux, tout ce qui engagerait trop l'existence de quelqu'un d'autre pour l'évoquer sans son consentement.
En somme, j'en viens toujours à me dire que ce geste-là demande un cran et une lucidité que je ne me reconnais pas. Qu'une analyse, au fond, serait peut-être plus appropriée...
En somme, j'en viens toujours à me dire que ce geste-là demande un cran et une lucidité que je ne me reconnais pas. Qu'une analyse, au fond, serait peut-être plus appropriée...
Peut-être pour mûrir cette dernière décision, peut-être pour la conjurer, j'avale la série télé In Treatment à grandes lampées.
Et m'aperçois seulement maintenant, comme le nez inaperçu au milieu de la figure, de ce que l'art consommé de la parole radiophonique d'Alain Veinstein doit non seulement à la poésie, mais vraisemblablement aussi à la psychanalyse.
Et m'aperçois seulement maintenant, comme le nez inaperçu au milieu de la figure, de ce que l'art consommé de la parole radiophonique d'Alain Veinstein doit non seulement à la poésie, mais vraisemblablement aussi à la psychanalyse.
Et pourquoi pas un journal vraiment intime ? Ce qui nous priverait certes du plaisir de te lire mais remplirait cette fonction que tu sembles appeler.
RépondreSupprimerMes carnets de bord d'adolescence et de jeunesse, et qui précisément racontaient une vie très limitée et horriblement studieuse me sont à présent précieux. Il ne sont pas "écrits", bien souvent style télégraphique pour simplement prendre note de tel ou tel fait (prudente, méfiante, manquant d'intimité je n'y évoquais que peu des sentiments).
Près de 30 ans après, pour qui s'est mis entre temps à écrire c'est une mine d'informations. Parce que certaines choses anodines sont devenues "signes des temps" et qu'une phrase toute bête de l'ordre de "Comme les restau U étaient en grève nous en avons profité pour aller au ciné voir + nom du film même si ça faisait x francs plus cher", apprend qu'il y avait des mouvements sociaux suivis à telle période de telle année, permet de déduire les tarifs relatifs d'un repas d'étudiant et d'un cinéma, qu'on vivait au temps des francs, qu'on se serrait la ceinture au point de devoir arbitrer entre voir ou manger et que tel film ah tiens effectivement je l'avais déjà vu.
Après, ça n'est pas forcément utile, tout dépend ce qu'on en fait, mais au moins la matière première on l'a.
En vieillissant on s'aperçoit que de certaines périodes particulièrement laborieuses de nos vies on perd bien la mémoire. Personnellement ça me rassure d'en retrouver trace, même si pas folichon.
À l'opposé des phases heureuses qu'écrire évite d'oublier peuvent aider en relisant à tenir moins mal le coup lors de caps difficiles.
Et c'est moins cher que payer quelqu'un pour nous écouter. Je ne crois pas trop en les bienfaits d'une analyse quand rien de grave ne va pas. Et que ce n'est pas plus mal de réserver le recours à un psychothérapeute aux cas de force majeure qui nous mettent en danger dans notre équilibre (ou habituel déséquilibre) profond (deuil, accident grave, aggression subie ...).
Enfin bon, ça, s'est tout personnel comme point de vue ...
Merci pour ce point de vue tout personnel. Une amie m'a déjà dit une chose approchante de ce que tu m'écris à la fin et ça me semble de bon sens. Simplement un besoin de sens, à chercher peut-être par les circonvolutions de l'écriture, et de médiation. Un désir d'avenir, mouarf. (Quant au journal tout court, c'est comme le blog et la promenade quotidienne, toute une lutte pour parvenir à l'assiduité – mais oui, à mener !)
RépondreSupprimerPas mieux que Gilda.
RépondreSupprimerMais j'espère que ça va, quand même. Pas si mal, au moins...
The strange thing is – I'm wondering ! Mais oui, quand même, ça va !
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