lundi 12 octobre 2009

La mauvaise vie partout

  
Contretemps littéraire et actualité : si le scandale qu'on sait ne l'avait pas précédé de quelques jours, j'aurais pour la première fois rencontré l'expression de "mauvaise vie" dans Yanvalou pour Charlie, le dernier roman de Lyonel Trouillot, où elle apparaît deux fois. Ce roman haïtien conte l'histoire d'un homme d'une trentaine d'années qui s'est échappé de son reculé village à l'adolescence, abandonnant parents et amour de jeunesse sans plus donner de nouvelles, pour se bâtir une vie de riche avocat d'affaires à Port-au-Prince. Et qui, derrière une initiale intercalée entre son prénom et son nom, masque son nom d'alors, son nom de bouseux de province. Jusqu'au jour où un pauvre hère de 14 ans provenant du même village surgit pour lui demander son aide, en l'appelant par ce nom renié.
Un roman en quatre parties qui sont quatre voix, au style simple, clair, ouvert, que j'ai aimé pour la même raison qui fait que j'aime généralement le catalogue de son éditeur, auquel je suis lié : pour les nouvelles qu'il donne du monde, au-delà du reportage. Parce qu'il donne un peu plus chair à un nouveau lieu de ma mappemonde personnelle. Mais qui, pour une raison qui est peut-être son absence totale d'ironie — trop peu à mon goût de complexité, de doute, de mise en question, luxe de riche ? — m'a aussi laissé sur ma faim.
Je m'amuse à relever ces deux échos à l'actualité que j'y ai lu parce que je passe trop de temps dans le bruit médiatique, et pas assez dans la littérature, dont la vertu est parfois de mettre le premier en perspective :

« C'est la deuxième fois qu'ils prennent le taxi. La première fois, c'était de jour. Le garçon portait des vêtements de fuyard et l'homme un costume dernier cri. Le chauffeur les avait pris pour un homosexuel en rut et une pute mal lavée. L'homme se souvient d'avoir lu dans les pensées du garçon “on s'en fout” et ordonné au chauffeur de regarder devant lui. C'est un autre chauffeur qui regarde dans le rétroviseur. Le garçon a posé sa tête sur l'épaule de l'homme, comme la première fois, mais le chauffeur ne les prend pas pour un couple illégitime. Il a vu le sang. Le garçon dort. L'homme a posé sa main sur la blessure, pour arrêter le sang, et pleure presque. Son désespoir n'est pas celui d'un amant. L'homme surprend le regard du chauffeur dans le rétroviseur, se reprend, redevient une machine, un battant. Il sort son portefeuille et dicte une adresse au chauffeur en lui offrant beaucoup d'argent. Puis, de nouveau humain, par besoin de complicité il se dit que les taxis de nuit sont peut-être plus intelligents que ceux qui roulent le jour, plus sensible à la mauvaise vie qui erre dans la ville, il ajoute “s'il vous plaît”. »
p. 134

« Au mieux, comme réussite personnelle, il ajoutera un supermarché ou une nouvelle usine au patrimoine familial, s'il gère bien le cash de départ que lui avanceront ses parents. Ce n'est pas difficile. Gérer le cash, tout le monde sait faire, dans son milieu. Les échecs sont rares, quand il s'agit d'appliquer les mêmes recettes et de jouir des mêmes avantages. Et puis, même s'il échoue, ce ne sera pas un véritable échec. Au pire, il ne saura rien gérer, sa famille s'accommodera de son incompétence et on lui donnera un titre de vice-président dans un quelconque conseil d'administration. Il épousera une cousine au teint clair qu'il trompera et qui le trompera, non par désir mais par ennui.  »
pp. 136-137

( Ça, c'était juste un #jeansarkozypartout. )
  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

(n.b. : Il semblerait que le formulaire de commentaires dysfonctionne sous Safari, mais s'entende encore très bien avec Firefox et Chrome.)