dimanche 2 décembre 2007

vous décrirez un dimanche d'hiver pluvieux dans un décor "romanesque"

 
Quand la nuit tombe, battue par les grains, nous descendons en bus par les beaux quartiers, jusqu'au 7° arrondissement - l'autre Paris.
Comme souvent dans ces immeubles, le trajet jusqu'au 7° étage où C. occupe pour l'instant avec F. les 25m² d'une ancienne chambre de bonne est romanesque au possible. Il y a d'abord cette petite porte en bois surmontée d'un écriteau "SERVICE", à gauche, sous le grand escalier, tandis qu'à droite, l'ascenseur pour les bourgeois vous aguiche. Disposition torchons/serviettes qui paraît si archaïque que l'effet - d'incrédulité - en est merveilleux.
Puis l'escalier extrêmement raide, dont la rampe est comme les marches, trop haute, occupe  une tourelle construite en saillie à l'arrière du bâtiment, probablement dos à dos avec le grand escalier, dans le corps, lui, du bâtiment. Colonne gris souris écaillé, dont les murs sont de fines parois de verre brouillé, interrompue d'étroits paliers où se succèdent chaque fois trois "portes de derrière" - on a vraiment le sentiment d'être dans les coulisses, à l'envers du décor.
L'arrivée au 7° est très amusante, puisque c'est là que s'étend véritablement le labyrinthe qu'était la cité domestique - d'étroits couloirs qui se ramifient à angle droit, flanqués de portes apparemment innombrables - mais numérotées en gros et gris foncé, jusqu'à 25 au moins. La 12, qui est la bonne, se trouve au bout de la dernière impasse, dans le cul-de-sac où le décompte fait demi-tour, où 11 fait face à 15, 12 à 14, avec le 13 au fond.
C. & F. habitent un bel espace blanc légèrement mansardé, au mobilier discret. Un sofa et deux fauteuils font salon autour d'une minuscule table de verre, devant la fenêtre, laquelle donne à perte de vue - les immeubles d'en face sont plus bas - plein ciel.
C'est le CD des Greatest Hits de Leonard Cohen que C. m'avait prêté l'année de notre rencontre en Bretagne, à elle, B. et moi, que joue l'ordinateur portable, sur le bureau -

You told me again you preferred handsome men,
but for me you would
make an exception.
And clenching your fist
for the ones like us who are oppressed by the figures of beauty,
you fixed yourself up, you said, 'Well, never mind,
we're ugly but we have the music.'


Nous bavardons deux heures et demie en buvant un excellent Earl Grey. F. se trouve avoir récemment préparé un dossier sur le thème qui va m'occuper au cours des semaines à venir et me passe un bouquin qui ne pouvait pas mieux tomber.
Nous remontons en bus dans la nuit, la pluie d'hiver. Monte un couple de bourgeois, trente-cinq ans, qui prend place à côté de nous, de l'autre côté de l'allée, pour pousuivre une dispute engagée au sujet du programme des fêtes, des visites aux (belles-)familles. Lui proteste que ce ne sont que "des possibilités, des propositions" qu'il a émises la veille : l'accuser d'avoir décidé pour deux est injuste ; on ne peut pas discuter, avec elle. Elle parvient à l'interrompre - il lui a dit mot pour mot que... J'ai peine à comprendre - imagine qu'ils profitent d'une sortie sans les enfants, s'ils en ont, pour régler leur différend - me dit qu'il faut être par trop dépendant d'obligation sociales pour s'enfoncer ainsi dans la discorde, ou que la question cristallise autre chose, ou simplement que c'est le modus vivendi de ce couple et le restera pour les cinquante années à venir. Parce qu'au bout d'un moment d'une conversation qui ne veut rien avoir d'une négociation, faute de terrain d'entente, il suffirait que chacun fasse selon son bon plaisir et qu'on se retrouve content, après une semaine, pour constater qu'on s'est manqué.

Cela dure cinq ou dix minutes puis la jeune femme se lève et va s'asseoir toute seule, au fond du bus.



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