dimanche 23 décembre 2007

in memoriam Julien Gracq

Aujourd'hui - il est mort (en fait hier).

Louis Poirier dit Julien Gracq.

Mon premier écrivain capital. Mon premier Pléiade, Noël 1998 (mes seuls).

De ces deux jours de mai ou juin 1999 où nous avions campés sur l'île batailleuse à Saint-Florent-le-Vieil, séparé de la maison du Grand Ecrivain par un rideau de peupliers et un bras de rivière, avec A. et P. (lequel avait préféré passé la nuit dans une longue barque à fond plat de la Loire), j'ai un film Super-8 (l'un de mes premiers, aussi). J'avais dix-huit ans et glissé un mot, "merci", signé de mon prénom, dans la boîte aux lettres que je croyais être la sienne.

Et la lecture du Rivages des Syrtes, à l'été 98. Je l'avais acheté chez un bouquiniste, l'avait trouvé pour 50F, pas encore découpé. Longtemps j'ai gardé, écrasées entre deux pages du Petit Robert, les rognures de ces pages à couper. Cette illumination. Très étrangement, mon frère avait, de son côté, fait l'acquisition des Falaises de marbre, d'Ernst Jünger ; nous avions chacun fini notre lecture au même moment et échangé nos livres. Pour découvrir plus tard, dans ce tome I de la Pléiade, combien Sur les falaises de marbre avait compté pour Julien Gracq, en 1937 (?), peu avant l'écriture du Rivage des Syrtes.

Mon frère me disant qu'il avait relu La Presqu'île - le récit du désir, l'attente en gare - dans ce train qui le ramenait vers les pays de Loire et le séparait de la femme aimée.

Au château d'Argol ramené de France contre mes trois sous d'alors, et offert en cadeau d'adieu à cet ami américain qui, l'ouvrant, avait craint de trouver là les limites de sa connaissance, pourtant très grande, du français. Ma déception de constater cette évidence. Where are you now, Julian ?

Pendant longtemps, j'ai toujours eu peur qu'il ne meure ; j'y pensais régulièrement comme à un événement malheureux, pour moi - alors même qu'il ne publiait plus, depuis longtemps, de ces stupéfiantes œuvres du langage. A dix-neuf ans, je crois que j'aurais tout fait pour être présent à son enterrement.

Ces quelques années, aussi - d'exaltation - je m'étais comme juré que s'il me fallait partir en urgence de chez moi (j'ai peur des incendies) et ne sauver qu'un seul de mes quelques biens, c'était ces deux volumes de Pléiade que je prendrais, ce que j'avais de plus précieux.

J'ai, pour Julien Gracq, eu de la religion (quittée la maison des parents, en terre étrangère, ai vécu de ces Pléiade-là, des journées sans besoin de rien d'autre). Ce fut la Littérature. Et c'est pour moi le plus grand écrivain français vivant qui est mort, ce samedi 22 décembre 2007. Immortel, vraiment - un texte pour les siècles.

4 commentaires:

  1. merci Janu.
    Ça fait du bien, particulièrement ce soir, de te lire.
    Je me sentais bien seule avant que tu ne passes chez moi. Ton billet me permet de mieux comprendre pourquoi toi aussi tu es triste aujourd'hui.

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  2. Ah justement, j'allais te dire d'aller faire un tour chez Gilda... Je pense à vous, je sais que parfois ça me pince le coeur à m'en faire pleurer la mort de ces proches-là...

    Julien Gracq, moi, je ne l'ai pas connu. Peut-être à cause de son refus des éditions de poche (parce que, longtemps, je n'ai connu des écrivains que ceux qui se présentaient sur le tourniquet de la librairie-papeterie de mon village) ? Bien plus tard, je l'ai lu, je l'ai admiré, mais de très loin. Un seul livre, lu comme on boit une liqueur forte, mais je n'y suis plus jamais revenue.

    Comment dire ? Ce n'était pas ma terre, je ne prenais pas racine dans son écriture.

    Cela ne m'empêche pas de vous comprendre (enfin, peut-être, je crois).

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  3. Ce que tu dis ne m'étonnes pas du tout, tant c'est un texte situé, dans les humeurs d'un territoire, son climat : en rouvrant les volumes hier, c'est tout le pays qui m'a ressauté à l'âme - la Loire, les Mauges, le Massif Armoricain. (A quoi s'ajoute, pour moi, la touche germanique de son imaginaire et de sa sensibilité - ça aussi, dans son oeuvre, m'a capté).

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  4. Une nouvelle (lectrice, pas "court récit en prose").
    Je me permets de joindre à ce tombeau l'expression platement enthousiaste de mon admiration éperdue pour ce virtuose de l'alchimie du verbe, que je considère aussi sans aucun doute comme le plus grand écrivain français (encore)vivant (il n'y a pas longtemps. Sa prose est si éblouissante qu'on a du mal à imprimer celle des autres après l'avoir lu. Je ne me suis pas encore remise, entre autres, d'Un balcon en forêt.

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