mardi 17 novembre 2009

les joies de la librairie (en stabulation libre)

  

A la demande générale de Robinson, qui m'a gentiment fait savoir qu'il avait aimé le lire, je remets en ligne ce billet que j'avais brièvement publié avant de le retirer, tard ce mardi soir 17 novembre, en prenant conscience après coup qu'il donnait de moi une image aussi fidèle que déplaisante. Il avait fait son œuvre, mais je n'avais plus le temps de le refaire pour parler un peu plus des gens insuffisamment observés dans cette librairie, et un peu moins de je et de parallélépipèdes de papier imprimé. Il y a pourtant quelque chose de beau à voir une jeune femme verser une larme – "Excusez-moi, c'est l'émotion" – parce qu'elle rencontre un écrivain qui se lèvera pour la prendre dans ses bras, et une lycéenne pousser une exclamation vieille comme l'école laïque, publique et obligatoire avec cet air si vivant de première intuition...
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Écrire que tu étais moi, que tu étais nue, que tu n’étais rien que l’ombre d’un cep, que le délié d’une lettre, que la fleur de givre sur le carreau... qu’une cicatrice inversée, une morsure éteinte... que l’ouverture et le fermoir. – que l’aube d’hiver et la nuit d’été – que la senteur du genêt sur le tumulus au bord du chemin, – que la même phrase à l’infini, reprise, biffée, répudiée – écrite...
Jacques Dupin, Fragmes (in Ballast)
  
J'ai bien choisi mon moment (ce soir, à la fermeture), pour aller faire l'emplette de Ballast (merci monsieur) à la Librairie de Paris : dès l'entrée je me cogne à un encombrement, je comprends qu'il y a événement, la queue d'une file qui vient du fond, diable, une signature, beaucoup de jeunes filles mais trop jeunes, pas assez Quartier Latin pour en déduire qu'à la demande générale et en raison du tabac de son Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre, Pierre-Marc de Biasi est revenu satisfaire ses fans, j'aperçois un Pocket à la main d'un jeune retraité qui barre le rayon poésie au niveau, notamment, de la lettre D comme Dupin, le scrute, y découvre la clé de l'énigme, carrément le nom d'Amélie Nothomb.
Nous v'là bien.
Tout compte fait, en dépit d'un mur d'êtres au cœur battant dans l'attente de leur tête-à-tête avec le sujet de leur admiration en lieu et place du corridor central, la circulation entre les rayonnages, à cette heure tardive, est restée fluide.
J'ai prié le jeune retraité de bien vouloir m'excuser le temps que j'attrape les deux exemplaires de Ballast et jette mon dévolu sur le moins gondolé d'entre eux.
Je me suis senti happé par Les Souffleuses de Béatrice Cussol mais ne l'ai pas mis dans ma besace, calculant que j'avais des chances de le trouver comme neuf à moins cher que son prix unique chez les marchands qui rusent avec la loi Lang, que voulez-vous, je suis fier de vous annoncer que je suis devenu imposable, ce qui coûte cher en cette saison, et  comme en matière d'écologie, les individus ne sont pas là pour entretenir l'illusion qu'on a collectivement pris la décision politique de changer les structures, de réguler le marché.
Tout en me disant que LaureLi c'était comme POL – et Verdier – faudrait simplement pouvoir s'abonner (où publie.net donne des idées...).
J'ai contourné le mur et son chapeau en ligne de mire pour aller prendre l'escalier du fond et filer chercher au rayon poche le second objet de ma visite, Histoire d'une fille de Vienne racontée par elle-même de la-belle-Josefine Mutzenbacher, alias Felix Salten le papa de Bambi. Que je n'ai pas trouvé, quand bien même j'avais prié les trois lycéennes assises sur les marches situées au niveau des "Mu" de bien vouloir m'excuser.
M'obstinant j'ai, avec un pincement de nostalgie attendrie, entendu l'une d'entre elles évoquer ces heures trop longues et trop nombreuses passées à l'étude d'un roman au titre étrange, Bel-ami, et une autre affirmer avec un air de touchante conviction dans l'originalité de sa remarque qu'elle doutait franchement que l'auteur avait voulu écrire ce livre pour qu'on en fasse des lectures analytiques, épris qu'il était seulement d'exprimer son style.
Je suis redescendu, ai tant que bien mal fendu le mur haletant, et, me composant un visage aussi détaché que possible à la vue des quatre ou cinq libraires qui s'étaient justement mis là pour papoter, je me suis rendu devant le petit rayon érotique que s'efforce gaillardement d'entretenir la Librairie de Paris entre la théorie littéraire et la littérature italienne, mais qui ne ressemble à rien, ou – fouillis de volumes en rose et noir qui montre leur image de couverture plutôt que leur tranche – qui est peu ou prou à la librairie ce qu'une pute de l'est de la Oranienburgerstrasse est à la Berlinoise moyenne, pas raccord. J'ai regardé sans oser toucher,  encore moins demander, et bredouille suis remonté voir ce que devenait mes lycéennes.
Elle gênaient des lectrices d'Amélie Nothomb en âge d'aduler Pierre-Marc de Biasi qui étaient montées photographier la star depuis le balcon.
J'ai fini par trouver la-belle-Josefine-alias-Herr-Felix au milieu des "Mo", où elle n'avait foutu rien à foutre, merde. A la fois soulagé et déçu que l'exemplaire soit jauni et rayé. J'ai feuilleté. Et je l'ai reposé, parce que la littérature érotique a ses limites, et qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, la récurrence de mots comme "bite" ou encore "motte" ne suffit pas toujours à vous convaincre qu'il ne peut rien y avoir de plus urgent à lire.
J'ai complètement oublié Ludwig Hohl, ça me revient soudain tout à coup, à propos de plus urgent à lire.
J'ai tenté Michel Onfray pour que ce ne soit pas tout perdu, mais je n'ai pas aimé la police et vraiment, j'ai du mal avec les Antiques.
Je n'ai pas acheté L'ignorant et son maître de Jacques Rancière parce qu'il m'a semblé évident qu'à la fin de la lecture, j'aurais le livre en pages détachées, ils ont changé la recette à 10/18.
J'entrais dans ma deuxième demi-heure à la librairie, celle où l'on perd la capacité de déterminer ce qu'on a envie de lire ces jours-ci.
Je n'ai pas pris Eloge de l'amour d'Alain Badiou parce que je pense trop aux impôts locaux, mais j'ai été ravi d'en découvrir l'existence. Ni Pornocratie de Proudhon dans une fort belle édition de L'Herne parce que demain on rase gratis, j'aurai une tablette numérique et gambaderai dans le pays de cocagne du domaine public.
Je n'ai pas trouvé le Thésaurus de Dostoïevski.
Mais suis tombé sur La pluie jaune de Julio Llamazares, un poche sublime de chez Verdier. Si j'avais eu la tête à rentrer dans un lieu, une histoire, mais non, später (même verdict pour Les Ombres sylvestres de Julien Lafargue).
Je me suis rapproché des caisses.
Et là j'ai découvert, on ne me dit rien à moi, que L'Imaginaire avait ressorti L'Orphelin de Bergounioux, qui manque à ma collection, avec un effort notable dans la recherche de la laideur au niveau de la police de titre. Résolu à traverser jusqu'au bout l'âpreté paradoxale du Doucement du petit frère et à lire la deuxième Querelle avant toute nouvelles bergouniouxerie.
Pour finalement m'apercevoir avec une gêne émue qu'en bout de table, près des caisses, la pile d''Orphelins côtoyait une petite pile du Sens de la famille.
J'ai payé mon Ballast, carte de fidélité pas de sac merci j'ai le mien, j'ai remis mon manteau, et suis sorti content.
J'avais rompu avec la-belle-Josefine, mais pour rencontrer Béatrice Cussol et Julio Llamazares.
Et je n'ignorais plus que Nothomb comme Northumberland.

2 commentaires:

  1. C'est un billet qui fatigue un peu à la fin, lorsqu'il devient énumératif, mais sinon les tribulations d'un amateur de (belle) littérature dans une librairie à son heure de Renflouons les caisse, est d'une splendide drôlerie.

    Pourquoi une "mauvaise image" de toi ? Pas compris. Tu as parfaitement le droit d'être moqueur envers la douce Amélie (je l'écris sans rire, pour le peu que je l'ai croisée, c'est quelqu'un que j'aime bien - et d'un humour splendide -) et ses lecteurs fans.
    Aurais-tu honte d'être imposable ? (sourire)

    J'aime beaucoup le Nous v'la bien et très d'accord avec toi au sujet de Laureli, P.O.L. et Verdier.

    Merci pour ce billet qui m'aura fait sourire alors que dimanche soir.

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  2. Chère Gilda, désolé, si je ne prends même plus le temps de répondre aux commentaires !
    C'est quand le billet a été terminé que j'ai pu constater que toutes les phrases commençaient par "je", que s'était instauré ce principe d'énumération – alors qu'il y aurait eu des gens à observer et à décrire, avec qui prendre langue, mais pour cela il était trop tard, et pour retravailler ce billet j'avais également épuisé ma réserve de temps et d'énergie. J'ai regretté, y voyant une image un peu trop caricaturale, peut-être, des livres comme autarcie...

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