samedi 12 septembre 2009

un objet sacré

Hier, je n'ai rien fait de l'après-midi, parce qu'ayant repris après déjeuner la lecture du Journal d'Hélène Berr, entamée mercredi soir, je n'ai pas pu m'en défaire avant d'être arrivé au bout, requis, parce que c'était tout simplement plus important que tout. Et alors que depuis le début j'éprouve le besoin d'en parler, de l'écrire, j'éprouve le sentiment qu'il s'agit d'une de ces lectures qui portent le sceau rare de l'événement — "une voix et une présence qui nous accompagneront toute notre vie", écrit Patrick Modiano en conclusion de sa préface — j'ai maintenant comme une syncope : pas moyen d'extraire une citation,
 
"On a parlé aussi des gaz asphyxiants par lesquels on aurait passé les convois à la frontière polonaise. Il doit y avoir une origine vraie à ces bruits."
Hélène Berr, lundi 1er novembre 1943

d'ajouter à ces mots un commentaire qui vaille — sur ce qu'est le journal, sur une expérience littéraire que n'égalera jamais la fiction, sur l'exorbitante question du mal — il n'est que de les signaler. Impossible aussi d'en finir, de me séparer du livre en le replaçant dans la bibliothèque — il faut pourtant l'admettre, c'est arrivé, Hélène est morte.
  
"La seule expérience de l'immortalité de l'âme que nous puissions avoir avec sûreté, c'est cette immortalité qui consiste en la persistance du souvenir des morts parmi les vivants. "
Hélène Berr, 30 novembre 1943

Je n'ai pas envie de recul et d'analyse, et envisageant le livre sur ma table basse, le mot me vient soudain : ce qu'est pour moi ce livre, désormais, c'est un objet sacré.
 
"Il faudrait donc que j'écrive pour pouvoir plus tard montrer aux hommes ce qu'a été cette époque. Je sais que beaucoup auront des leçons plus grandes à donner, et des faits plus terribles à dévoiler. Je pense à tous les déportés, à tous ceux qui gisent en prison, à tous ceux qui auront tenté la grande expérience du départ. Mais cela ne doit pas me faire commettre une lâcheté, chacun dans sa petite sphère peut faire quelque chose. Et s'il le peut, il le doit."
Hélène Berr, 10 octobre 1943

2 commentaires:

  1. Quand je (re)lis ça, j'ai très honte des futilités que j'écris et qu'inévitablement sauf mort subite j'écrirai.
    Je ne sais pas si la frontière se situe entre journal et fiction, j'ai davantage l'impression qu'elle l'est entre écriture vitale face à une mort collectivement menaçante et travail en temps de paix (intime ou continentale).
    Et puis en tant que personne, j'ai honte d'avoir un jour perdu pied pour des motifs qui ne relevaient que de la sphère personnelle et sentimentale.

    Merci Janu de nous rappeler là où est l'essentiel. Tu donnes envie de le lire ou nous y replonger.

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  2. Très honte, comme tu y vas - bah, faut écrire ce que doit, chacun faire avec son histoire, on ne va quand même pas avoir honte de vivre dans un temps sans héroïsme, équivoque, où les drames sont diffus. Pas tragique, moins critique, mais pas nécessairement facile pour autant (du reste, il est beaucoup question de dilemmes sentimentaux dans la première partie du journal). Mais c'est la valeur de ce genre de livre, n'est-ce pas, de servir d'étalon, de remettre les choses en perspective.
    Oui, c'est drôle, j'aurais dû placer deux mots d'atténuation quelque part dans cette proposition sur la "fiction qui jamais n'égalera" bien trop catégorique, j'attendais la réaction, mais je me suis dit paresseusement que la phrase était déjà trop pleine pour que j'y fourre un ", semble-t-il,"... J'ai un sentiment de cet ordre, à creuser. Mais quand tu parles d'"écriture vitale", tu me fais penser à ce critère que propose Georges Bataille dans la préface au Bleu du ciel : "Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l'auteur n'a pas été contraint ?" Alors est-ce que dans un texte de témoignage cette nécessité est simplement plus sensible ?
    En tous cas Pascal Morin disait jeudi à la radio une chose que nous avons probablement tous vérifiés, et qui suggère que nous sommes plusieurs à sous-estimer la vérité ou la valeur existentielle de la fiction - que dans les rencontres avec les lecteurs, les gens sont relativement obsédés par la part autobiographique des livres, et demandent souvent ce qui est "vrai" et ce qui est "inventé". On peut y voir un rapport naïf à la fiction, mais on peut certainement aussi y voir le signe des insuffisances d'une fiction. Hâte de livre l'opus de Chloé Delaume sur l'Auto-fiction, tiens...

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