mardi 29 septembre 2009

"Il faut un nom à l'anonyme"

  

“Il est possible que tout récit humain soit un mythe qui ne concerne pas les événements de sa propre vie mais que la seule possibilité de la narration la rende vivable. Il faut un nom à l'anonyme.
Toutes les vies sont fausses.
C'est la narration qui est vive, ou vitale, ou vitalisante, ou revivifiante.
Il est possible que les romanciers soient les seuls à savoir l'erreur — puisqu'ils consacrent leur temps à travailler à son errance — que toute narration engendre et l'étrange vitalité qui naît de cette fiction. Les seuls à savoir qu'il y a autant de romans possibles et aucune vérité en amont d'eux. Qu'il y a autant de questions possibles et aucune devinette véritablement posée derrière chaque drame qui y progresse. C'est pourquoi les hommes aiment tant à passer des examens, des concours, des initiations, des élections, font tant de compétitions, lisent tant de romans à énigme, s'amusent inexplicablement à faire des mots croisés : ils veulent croire qu'il y a une réponse qui précède leur question là où il n'y a que cri de pulmonation, scène invisible, questionnement corporel dénué de fin, contingence sexuelle. Ils veulent croire qu'il y a un chiffrement initial, qu'il y une direction ou une promesse à leurs jours.”

Pascal Quignard, Les Ombres errantes (2002, Folio pp. 183-184)


Il y a un début à tout, c'est ce qui est beau — dirait-il une aurore ? —, premiers pas circonspects aventurés in terra incognita, pour l'essentiel dans le train de nuit qui m'a transporté puis ramené de Berlin — parti voir ailleurs si —, je suis entré dans l'œuvre de Pascal Quignard, si importante aux yeux de beaucoup en général et de quelques amis en particulier, et au seuil de laquelle j'étais demeuré comme au seuil de l'étrange, par inconnaissance et incuriosité farouche à la fois du Passé semble-t-il comme fondement, des Anciens et de la grande musique, ; et quand bien  même sa filiation bataillienne me conviait, elle, à entrer.
Encore une fois : “Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l'auteur n'a pas été contraint ?” (G. Bataille, préface au Bleu du ciel). Guère de doute pour ce qui concerne ce livre. Lecture salubrement radicale — il s'écrit tant de rien — même si je doute parfois un peu du vide qu'ouvre cette écriture ouverte — ici le rien s'écrit —, même si je ne connais pas de jouissance stylistique, même si quelque chose me satisfait dans la façon non restrictive qu'a Jean-Louis Kufer de décrire Pascal Quignard comme un “grand écrivain mineur”.
Il me faudra maintenant pousser l'exploration avec Les Petits traités, sur lesquels François Bon attire en ce moment notre attention.
  

2 commentaires:

  1. Je crois tout simplement que c'est trop cérébral pour moi. Fort bien dit, joliment littéraire et délicieusement mâtiné de philosophie, et puis après ?
    Mon besoin personnel de littérature va vers du plus concret et je sais bien pourquoi : pendant tant d'années il s'agissait d'y puiser la force de tenir pour faire face au quotidien qui n'était qu'une longue suite de corvées parfois soulagée par un bref bon moment.
    Alors j'avais surtout besoin qu'on me raconte une histoire qui me sauvait de la mienne et pas qu'on m'explique le mécanisme du récit.
    J'ai tendance dés lors à trouver un peu creux tout ce qui reste à ces distances-ci.
    (Et pourquoi là je pense "nouvelle cuisine" ? À cause des repas élégants dont on sort sans être rassasiés ?)

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  2. Oui, même si le livre se compose aussi de nombreux récits brefs, l'expérience de lecture est plutôt de l'ordre de la méditation. Dans mon cas cette façon de formuler, d'ouvrir des questions d'ordre fondamental a tout de même réussi à m'arracher avec toute la force souhaitable au bruit et au non-sens usant dont tu parles et qui fait le quotidien au sens le plus néantifique du terme. Ça réveille chez moi les questions qui animent. Si j'ordonnais mes lectures sur une sorte d'échelle d'intensités, je pense qu'il figurerait donc en bonne place — mais pas le plaisir de l'histoire en effet, une sorte d'intensité sérieuse, de joie. Peut-être bien qu'il faut le tempérament. C'est comme si Quignard œuvrait à affirmer dans ce monde le droit intempestif de ne pas vivre pour le fun.
    Quant à Quignard romancier, ça reste pour moi un domaine inexploré.
    (Et quant aux repas les plus élégants qu'il m'ait été donné de déguster, moyennant entrée-plat-dessert, ils m'ont toujours rassasiés, mais j'ignore si c'était vraiment de la "nouvelle cuisine"!)

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(n.b. : Il semblerait que le formulaire de commentaires dysfonctionne sous Safari, mais s'entende encore très bien avec Firefox et Chrome.)