Parce que se baigner un soir d'été dans l'eau fraîche embaumant fort la terre d'un lac berlinois demeure parmi mes souvenirs les plus édéniques, et en dédicace à B. qui s'adonnait hier à ce délassement vivifiant, cet extrait du plus grand roman burlesquo-I-got-the-blues berlinois de la rentrée, j'ai nommé Honecker 21 de Jean-Yves Cendrey-N'Diaye (je répugne à ce genre de pipoleries hors de propos et me désapprouve formellement, mais je sais hélas qu'elles sont de nature à piquer la curiosité du concierge qui dort - ou pas - en chacun de nous, et je me suis mis en tête de piquer les curiosités, tant j'ai de raisons d'aimer ce livre), disponible dès mercredi sur les étals enchanteurs des librairies, et qui fait ici un sort à l'une des images d'Epinal les plus couramment reproduites sur le calendrier des postes de la culture allemande — j'ai nommé le poil :
" Malgré cet œil éteint qu'Honecker avait lui-même soin d'arborer comme un gage de déférence envers la Berlinoise, il n'avait pu s'empêcher de remarquer que désormais elle se rasait. Elle qui il y a dix ans encore ne s'aimait que follement naturelle sacrifiait désormais aux mœurs épilatoires de sociétés détestables où la femme, si elle n'est pas objet de désir, ne sait qu'être objet de dédain, et avec des mollets poilus, toujours objet d'aversion.
Sa propre mère, soixante-six ans sonnés dont quarante de féminisme furieux, venait de renoncer à la moustache. Elle qu'il n'avait connue que velue à faire peur et fière de l'être lui était même en juin dernier, un jour de baignade au lac de Krumme, apparue avec des aisselles, un pelvis et des jambes jusque-là insoupçonnés, un piercing doré entre sexe et nombril ajoutant à la surprise.
Lorsqu'ils se sont connus, Turid était d'ailleurs — héritage des luttes de ses aînées — plus duveteuse qu'aujourd'hui. Mais chez elle c'était si touchant qu'Honecker s'en souvient avec un poil de nostalgie quand il la caresse, la convoite d'un œil allumé — qu'il n'oublie cependant jamais d'éteindre en sortant.
La Berlinoise de la rue ne doit toujours avoir droit qu'à des regards de poisson, au mieux, ou au pire à un regard de nounours. Elle n'est sans doute pas née la passante de Kreuzberg qui s'entendra dire Ciao bella ! et haussera les épaules en riant de la sottise des garçons.
La rue berlinoise ne devrait pas s'érotiser de sitôt. Elle est trop libre, paisible et sans façon pour s'émouvoir.
Il y a ici une sérénité féminine très rare de par le monde, qui n'est encore que plaisante mais pourrait un jour tourner à la grâce. Peut-être alors que l'hommage furtif d'un œil habité ne disqualifiera plus l'homme de la rue berlinoise, et ce qui demeure son empêchement deviendra avec un rien de souplesse sa flatteuse distinction. Il aura recouvré la vue, mais n'offensera jamais. "Jean-Yves Cendrey, Honecker 21 (Actes Sud, 2009, pp. 66-67).
(Nous noterons avec intérêt, si je peux me permettre un commentaire, qu'aux yeux de l'auteur abondance de bordels n'est donc pas de nature à érotiser la rue d'une ville, ni même d'un pays.)
J'ai peur que la mode du poil adulte (1) ne revienne que quand je serais encore plus vraiment trop vieille (variante : en traitement médical qui rend chauve et sans duvet). Dommage, j'avais quelque soyeux atouts :-) .
RépondreSupprimerPS : Ta précision n'est pas pipole, elle n'est que justice, d'autant qu'ils n'en font pas secret.
(1) c'est un des trucs qui m'énerve dans cette mode du dépoilé, des corps d'adultes comme des corps d'enfants ; n'y aurait-il pas là quelque perversité (alors que par ailleurs on en voit désormais dans des gestes de tendresse naturelle) ?
Mais Gilda, que t'importe la mode, quand on sait la piquante radicalité d'une femme barbue sous les aisselles, quand on sait combien désirable est l'étrange ?! :-D
RépondreSupprimerQuant à la perversité, c'est ce qu'on dit, hein, que la mode de la tonsure où je pense est d'inspiration pornographique américaine - la perversion de l'industrie lourde, en plus. Et puis tu sais, les femmes sont de grands enfants.