"La production n'étant plus capable de valoriser l'ensemble des capitaux accumulés, une partie croissante de ceux-ci conserve la forme de capital financier. Une industrie financière se constitue qui ne cesse d'affiner l'art de faire de l'argent en n'achetant et ne vendant rien d'autre que diverses formes d'argent. L'argent lui-même est la seule marchandise que l'industrie financière produit par des opérations de plus en plus hasardeuses et de moins en moins maîtrisables sur les marchés financiers. La masse de capital que l'industrie financière draine et gère dépasse de loin la masse de capital que valorise l'économie réelle (le total des actifs financiers représente 160 000 milliards de dollars, soit trois à quatre fois le PIB mondial). La "valeur" de ce capital est purement fictive : elle repose en grande partie sur l'endettement et le good will, c'est-à-dire sur des anticipations : la Bourse capitalise la croissance future, les profits futurs des entreprises, la hausse future des prix de l'immobilier, les gains que pourront dégager les restructurations, fusions, concentrations, etc. Les cours de la Bourse se gonflent de capitaux et de leurs plus-values futures, et les ménages se trouvent incités par les banques à acheter (entre autres) des actions et des certificats d'investissement immobilier, à accélérer ainsi la hausse des cours, à emprunter à leur banque des sommes croissantes à mesure qu'augmente leur capital fictif boursier.
La capitalisation des anticipations de profit et de croissance entretient l'endettement croissant, alimente l'économie en liquidités dues au recyclage bancaire de plus-values fictives, et permet aux Etats-Unis une "croissance économique" qui, fondée sur l'endettement intérieur et extérieur, est de loin le moteur principal de la croissance mondiale (y compris de la croissance chinoise). L'économie réelle devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l'industrie financière. Jusqu'au moment, inévitable, où les bulles éclatent, entraînant les banques dans des faillites en chaîne, menaçant le système mondial de crédit d'effondrement, l'économie réelle d'une dépression sévère et prolongée (la dépression japonaise dure depuis bientôt quinze ans)."
André Gorz, "La sortie du capitalisme a déjà commencé" (automne 2007), in Ecologica (Paris, Galilée, 2008).
(Envisager que ce n'est pas parce que l'économie étatique planifiée
- à l'image d'un mur peint sur la Postdamer Platz -
s'est effondrée en 1989
que l'économie capitalistique ne s'abolira pas
- quelle présomption ! -
son tour venu...)
- à l'image d'un mur peint sur la Postdamer Platz -
s'est effondrée en 1989
que l'économie capitalistique ne s'abolira pas
- quelle présomption ! -
son tour venu...)
Le dernier paragraphe est d'une limpidité. Un seul bémol. Lorsqu'une bulle éclate, les survivants en sortent encore plus forts et sont bien plus féroces, en attendant la prochaine bulle et donc le prochain écrémage.
RépondreSupprimerAmusant de rappeler que la Chine se fait de l'argent sur les bons du trésor américain. :))
Réponse tardive, désolé.
RépondreSupprimerOui, j'avais moi aussi trouvé ce passage très éclairant à la lecture, décrivant ces "bulles" dont on entend parler sans toujours mettre un contenu très précis dessus comme "anticipation de profits à venir". Il n'y a pas assez de croissance des richesses alors on capitalise des richesses putatives que le temps et le travail des hommes dans le temps ne saurait manquer de produire...
Quant à ta remarque, André Gorz voit lui la chose comme un processus historique linéaire, et non absolument cyclique. Les survivants sortent plus fort, mais, dit-il, "Il y a de plus en plus de perdants et de moins en moins de gagnants". Et, au bout d'un moment, ce processus deviendra intenable, atteindra sa limite. Et on commence déjà à y être, c'est pourquoi il parle de "sortie du capitalisme." En gros, puisqu'il faut de moins en moins de travail productif pour créer de la valeur, puisque le travail productif - l'économie réelle - est de moins en moins à même de créer de la croissance, il va forcément falloir "changer de paradigme", comme on dit, changer les données de l'équation besoins/travail/valeur. On ne pourra pas continuer dans une économie de plus en plus "déréalisée". Limiter ses besoins, produire autrement, d'une façon qui revalorise le travail. D'autant qu'il faut prendre en compte la question écologique. En substance et si j'ai bien compris. Ou bien se jeter à corps perdu dans une crise profonde.
Je citerai peut-être d'autres passages pour préciser...