en lisant C'était de Joachim Séné

Grâce à C'était, de Joachim Séné, j'ai en partie remédié à mon inconnaissance de la vie salariée de bureau. C'est fascinant comme la définition d'une forme répétitive peut rendre envoûtant quelque chose comme ça, la vie de bureau.

Le texte se divise en 53 chapitres, numérotés sur 53, qui correspondent aux 53 semaines d'une année de travail. Et chaque chapitre hebdomadaire est constitué de cinq phrases, périodes et paragraphes, correspondant aux cinq jours ouvrables de la semaine (les jours chômés sont marqués par [...]).

Du coup je comprends mieux et même assez finement vos peines à vous autres, salariés de bureaux, parce que c'est le rôle et la vertu de la phrase de littérature, la description fine et la restitution de la complexité sensible des choses (et singulièrement des choses dont on n'a pas l'expérience). En l'occurrence, de cette tension, oscillation entre les routines – répétition – et la singularité de chaque journée de chaque vie individuelle, et incommensurable – variation.

Je m'étonne de l'admettre et ça demeure encore un peu mystérieux pour moi, mais ce texte sur un an de la vie d'un informaticien salarié en open space est, oui, prenant, et assez beau. 

Je m'en étonne moins quand je songe que son auteur, créateur d'un site où entrer en communication avec le grand esprit de Gif-sur-Yvette, est un suffisant lecteur du journal de Pierre Bergounioux, qui procède de ce même affinement par l'écriture, par répétition-variation, de la durée constitutive d'une vie, d'une sorte de vie, qui n'est pas la nôtre mais celle de l'un de nos semblables.

Je songe que c'est une forme qu'il serait loisible à quiconque de reprendre pour y écrire sa propre vie de travailleur, et qu'ainsi nous aurions une collection d'expériences professionnelles, au sens subjectif du terme, rendues sensibles à notre compréhension. 

Je songe que sont prodigieuses les oeuvres qui, loin du mythe d'une originalité fermée, produisent ce don en surplus, d'une forme que l'on pourrait très bien réinvestir pour, à son tour, écrire.