lisières

Julius Winsome, de Gerard Donovan (trad. G.-M. Sarotte, Seuil, 2009).

Un amical présent.

Ou la vie dans les bois du Maine du Nord, les mêmes, je crois bien, que ceux de H. D. Thoreau. Asocial – inhumain – Julius y vit seul dans un chalet avec trois mille deux cent quatre-vingt-deux livres fétiches légués par son père, la mémoire de deux guerres mondiales reçues de deux générations d’hommes, et un chien. Jusqu’au jour où le chien est tué à coup de fusil, à bout portant. Incrédulité quand les quarante premières pages n’ont fait que dire le deuil d’un homme qui a perdu son chien. Mais c’est l’histoire absurde de l’humanité qui se retourne contre elle-même, sa suffisance, son oubli de l’animal. La naïve illusion de puissance du chasseur contemporain. L’humanité – son reste, la folie.

Dans la phrase et la narration, rien d’extraordinaire – une espèce de discret lyrisme d’atmosphère, réussi, qui imprègne – la neige, la forêt. Un de ces livres à la première personne subtilement écrits pour te mettre à la place du fou, en parfaite empathie – ça marche et ça questionne. Politiquement, un examen du culte de l'arme à feu.

« Un grand nombre d’hommes hantent ces bois parce qu’ils ne peuvent pas habiter ailleurs. Solitaires, ils prennent la mouche à la moindre occasion. Soyez courtois, mais le mieux est encore de se taire. Ils viennent dans le Nord et attendent que la vie passe, ou bien ils étaient déjà là et y restent pour la même raison. Ce genre d’hommes vient au bout de tous les longs chemins du monde puis ils échouent là après avoir fui des lieux où ils ne peuvent vivre. Ils n’ont d’autre choix que de construire, et c’est pourquoi même en ces lieux ils s’éloignent le plus possible des sentiers battus, s’installent en pleins bois, à l’ombre des arbres. J’habitais loin de ces hommes, les chalets les plus proches se trouvant à cinq kilomètres à l’ouest et au nord du mien. » (p. 18)