la musique

Hier, j'ai soudain eu envie d'écouter La Musique, l'album que Dominique A, mon chanteur français fétiche de prédilection, a sorti il y a près de deux mois et que je m'étais procuré peu de temps après. Et à ma grande surprise, cette fois-ci, je n'ai pas coupé au bout de cinq minutes, imperméable à ce disque — ô scandale ! — sans guitare, mais tout en boîte à rythmes et sons de synthèse qui me plongent dans un imaginaire parfaitement exogène , pensé-je, à ma sensibilité — un imaginaire de bar branché à néons ice blue et décor aluminium où les gens ont le t-shirt et les dents flashy white, la peau mauve foncé, et clignotent en négatif, un verre de vodka Absolut à la main. Non, hier je n'ai pas coupé, déçu de voir ainsi abolie le filet modulé de la voix articulée, la force précaire du chant,

j'ai au contraire été porté, l'humeur heureuse, ensoleillée, dansante, jusqu'à l'irrésistible tango (salsa ? autre ?) final.
Je me suis demandé ce qui pouvait expliquer un tel revirement, cette soudaine réceptivité, et me suis dit qu'il avait dû se passer quelque chose dans la saison : c'était le printemps à Paris, a fortiori depuis l'heureuse interdiction de fumer dans les bars qui jette la vie sur les trottoirs, et depuis que j'habite entre Barbès et Place Clichy : cette ambiance de night-club, c'était le printemps à Paris, c'est pour ça qu'il était l'heure pour moi d'entendre ce disque. Ainsi, peut-être même, que quelque chose de plus profond dans le passage de mes propres saisons, à l'heure où je transite entre un étrange sentiment chaque jour plus sensible d' "être adulte", et la conscience de ne pas être installé, de ne pas savoir quel horizon se dessine pour moi derrière la prochaine crête, sur l'autre versant de la trentaine.
Hier je n'ai pas coupé parce que j'ai soudain entendu avec stupéfaction que ce chant me parlait, comme il l'avait toujours fait, et dès les premiers mots :

J'ai tout essayé
J'ai pas trouvé le sens
J'ai marché dans les rues
J'ai écrit, j'ai aimé
J'ai voyagé, j'ai cru
J'ai nié des évidences
J'ai nagé nu
Mais désolé
J'ai pas trouvé le sens

J'ai pas envie d'sauter
J'ai pas envie d'une balle
Je préfère exister
Même si c'est pour que dalle ;
J'aime bien respirer
J'aime bien me sentir sale
J'aime avoir de la chance
Et me faire embrasser
Mais bien sûr si j'y pense
Tout ça n'a pas grand sens.

Dominique A — qui a, lui, 40 ans et demi — "Le Sens", La Musique, 2009.

Comme Jacob Bronsky quelques jours auparavant, qui a peut-être contribué, lui aussi, à m'ouvrir les oreilles.

“Mary Stone”, dis-je. “J'ai compris qu'il ne suffit pas de survivre. Survivre, ce n'est pas assez. J'ai aussi compris que la naissance de chaque être est en même temps sa condamnation à mort, et je me demande quel sens cela peut avoir. Pourquoi est-ce que je vis ?”
“Pour chercher, Jacob Bronsky, pour chercher.”
“Un sens caché dans tout ce non-sens ?”
“Oui, Jacob Bronsky.”
“Le sens de notre vie serait-il simplement dans cette recherche ?”
“Je ne sais pas, Jacob Bronsky. Mais vous trouverez peut-être la réponse un jour.”

Edgar Hilsenrath, Fuck America, p. 279.

Va pour les stroboscopes.