mercredi 10 septembre 2008

homénopause

" Il s’installe à sa place, en classe économique, met son casque sur ses oreilles, et il se sent bien, se réjouit presque à l’idée qu’il s’échappe, qu’il s’en est sorti. Il boit son eau gratuite, mange ses bretzels gratuits. Tout va bien jusqu’à l’atterrissage, jusqu’à ce qu’il aille chercher sa voiture de location et arrive chez le frangin, car ensuite il a l’impression de s’être fait de plus en plus petit depuis le réveil, d’avoir rétréci en se brossant les dents, en fermant sa valise, en quittant l’hôtel, en passant le portique de sécurité de l’aéroport ; de s’être ratatiné dans l’avion en logeant son sac dans le compartiment à bagages, en bouclant sa ceinture ; d’avoir rapetissé encore dans la voiture, au moment d’avancer le siège, tout étonné de toucher les pédales, de voir par-dessus le volant.
Il se gare, utilise le grattoir à neige de la voiture pour brosser les miettes de bretzel de ses vêtements, puis il entre. Le chien aboie après lui. « Arrête d’aboyer, » dit-il, et le chien arrête. Il va dans la cuisine, se sert un verre d’eau, le boit debout devant l’évier, puis rince le verre, l’essuie, le remet dans le placard, retourne dans le salon, s’assied. Il s’assied sur le bord du canapé, comme dans une salle d’attente, une gare de transit, comme s’il arrivait là en route vers une autre destination. Il songe à repartir. S’il se lève et s’en va, s’il ne touche à rien, personne ne saura qu’il est passé par là. S’il s’y prend bien, sa venue passera complètement inaperçue. Il pourrait remettre son sac dans la voiture, la clé sous le paillasson et descendre à l’hôtel, justement prévu à cet effet − gérer l’inconfort qu’on éprouve en terrain inconnu. Le chien saute sur le canapé, fait un tour sur lui-même, se couche, pose la tête sur la cuisse de Richard et déglutit. Richard reste assis quelques minutes puis s’allonge à côté du chien, la tête dans le plaid plucheux du sofa, plein de miettes, de poils, du parfum faisandé de la vie. Il dort.
L’un des enfants rentre à la maison. Une fille qui est tout le portrait de sa mère, intelligente, amène. C’est une fleur prête à s’ouvrir, pas encore consciente d’elle-même, pas encore soucieuse de s’auto-éditer.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? demande-t-elle.
− Comment ça ?
− Ils ont dit que si tu venais ici, c’est que ça n’allait pas − sinon pourquoi tu viendrais. T’es mourant ? Fauché ? T’es en plein dedans ?
− Dans quoi ?
− L’ho-mé-no-pause.
− Il n’y a pas de ménopause chez les hommes.
− Alors pourquoi ça s’appelle l’homénopause ?
− Je ne sais pas.
− Bon, mais pourquoi t’es là ?
− Je ne sais pas, j’ai éprouvé le besoin de venir, de revoir tout le monde. Ça t’arrive d’éprouver le besoin de voir des gens juste pour t’assurer qu’ils existent encore ?
− Tu fais une dépression ? C’est le genre de trucs que les gens disent quand ils font une dépression. Est-ce que c’est la dépression qui fait qu'on se le demande, ou est-ce que c'est parce qu'on se le demande qu'on fait une dépression ?
− C’est tout le problème. Quel âge as-tu ?
− Bientôt douze. » "

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(n.b. : Il semblerait que le formulaire de commentaires dysfonctionne sous Safari, mais s'entende encore très bien avec Firefox et Chrome.)