jeudi 20 mars 2008

ferveur

" L'écrivain devient, dès lors, l'un de vos minuscules.

Tout homme est minuscule, qui ne se hausse pas au-dessus de l'homme. L'homme Bossuet était minuscule aussi, dans sa petite vie de snob du XVIIe ; mais fugacement, il ne l'était plus, quand en chaire il donnait les grandes orgues de son style pour s'adresser à ce qui le dépassait infiniment. Dieu n'est autre que cette assomption d'autrui dans une instance transcendante. De cette assomption, l'écrivain a besoin pour que son texte se hausse au-dessus de celui qui l'écrit. Pour qu'il y soit au meilleur de lui-même, il faut que son texte soit dédié au plus haut, à un plus haut qui soit Autre.

Vous êtes donc assez éloigné d'une littérature contemporaine plus ludique, qui semble faire l'économie du tragique.

Cette littérature court le double risque de la frivolité et de l'autisme : d'un côté la danse sur le vide, de l'autre le babil d'un seul, le solipsisme, l'incommunicabilité des avant-gardes. Les contemporains manquent souvent de ferveur. C'est là qu'à mes yeux passe le clivage : d'un côté les écrivains fervents qui postulent un grand autrui donnant sens à la communauté des lecteurs, de l'autre les frivoles s'adressant à un autrui simple, éclaté, minimal."

Pierre Michon, "Une forme déchue de la prière", entretien avec Xavier Person, 1992.
In Le Roi vient quand il veut, Albin Michel, 2007, pp.29-30.

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