mercredi 27 août 2008

Berlin, fin août 2008

Dans la Reinhardstrasse, hier soir, je me figure à tort qu'il y a presque exactement dix ans - huit en fait - que j'ai pour la première fois mis les pieds à Berlin.

C'était juillet l'an 11 après le Tournant, il faisait chaud mais la ville me semblait parcourue de courants d'air, dans les immenses couloirs des rues. J' ai arpenté l'espace et j'aimais les ombrages, et à Prenzlauer Berg, en m' arrêtant sur la Zionskirchplatz, au creux de l'après-midi, je m'étais dit que cette ville devait être faite pour moi, puisque partout je ne croisais, à pied ou à vélo, que des sujets jeunes qui chacun, comme moi, allaient seuls, tranquillement. Etrange atmosphère recueillie.
Parce que trois adolescentes du quartier que j'avais attendues au bar avec le projectionniste avaient bien voulu surgir au bout d'un quart d'heure, et permettre que soit atteint le quorum de trois spectateurs requis pour que la bobine tourne dans un vieux projecteur récupéré d'URSS, j'avais pu assister à la toute première séance de cet espèce de squat, maison de quartier improvisée quelque part dans la Lehrterstrasse, loin de la station de S-Bahn la plus proche, au carrefour d'une grand-route et d'un autre non-lieu : Lehrter Bahnhof, où ne se dressait fièrement aucun palais de verre grouillant d'agitation, flanqué de deux esplanades bordées de bus clamant Berlin City Tour, et qu'on aurait appelé Gare Centrale. C'était ce film ostalgique, merveilleux, non pas muet mais en langue inarticulée qui représentait l'événement même qui saisissait et n'a pas fini de saisir l'endroit : Tuvalu. Une piscine en ruine et où, par humanité, on fait croire à un aveugle qu'il y a encore des gens qui viennent nager, finit par tomber dans les mains des promoteurs.
La Chausseestrasse, celle de la maison de Brecht au bord du petit cimetière des grands hommes, m'avait semblé comme un cul-de-sac, avec ces airs, encore, de no man's land des abords du mur, qui m'avaient retenu d'avancer plus loin que cet espèce de terrain vague dont trois jeunes arbres plantés ça et là indiquaient qu'on voulait faire un parc.

Il y a plus d'un an que je n'avais mis les pieds à Berlin et hier soir, de la gare centrale à la maison de Brecht, la ville m'étourdit par sa vitalité de métropole. Les touristes vont en bob et leur plan à la main, la Spree est livrée au traffic intense des bateaux-mouches, au bord, à pied et en vélo, on se promène en nombre jusqu'à la Friedrichstrasse, la carte de la Ständige Vertretung est traduite en quatre langues, on ne voit plus la laideur des immeubles de la Reinhardstrasse parce qu'on a les yeux rivés aux vitrines de mille nouvelles boutiques, et, Chausseestrasse, force est de constater qu'on est bien loin du calme provincial qui, l'été, fige la rue Damrémont - on ne cesse de croiser des gens sur les trottoirs.
Sans parler de ce futur quadragénaire fringant qui, lestement, a garé sa Jaguar devant la Kneipe avant de sortir en polo, le portable à l'oreille et sans se soucier de l'horodateur, pour aller boire une choppe. Quelque chose, me dis-je, comme Francfort à Berlin.
Et ce que je me dis aussi, c'est que ça n'est peut-être pas seulement la frontière du monde scindé qui redevient un centre, mais plus que ça. Berlin se normalise, sa singularité s'efface, oui, et même mieux. Un jour peut-être, soyons fous, on y votera à droite parce qu'on est des gens forts et qu'il faut être un peu sérieux. Je me dis que ce dont on parle sans cesse et qu'on appelle croissance, ou dynamisme économique, existe, c'est donc ça. Et change la forme d'une ville. Plus vite, amen, que le coeur d'un mortel.

4 commentaires:

  1. Quel beau billet... Berlin et ses métamorphoses...

    sylvie

    RépondreSupprimer
  2. Je n'ai jamais eu la chance d'aller à Berlin qui est pourtant une ville qui me tente depuis de nombreuses années (bien avant 1989). A te lire, je crois que c'est un peu fait.

    RépondreSupprimer
  3. Oui, très joli billet. Dire que cela fait presque vingt ans que je trouve pas le temps de m'y rendre.

    RépondreSupprimer
  4. Tiens, d'ailleurs, j'ai pensé à toi en l'écrivant, Chondre - ça m'a rappelé un de tes billets (relativement) récents sur New York à quelques années de distance, et je ne sais plus quel coin qui avait perdu de sa sauvagerie.

    RépondreSupprimer

(n.b. : Il semblerait que le formulaire de commentaires dysfonctionne sous Safari, mais s'entende encore très bien avec Firefox et Chrome.)