jeudi 15 juillet 2010

Je termine La Centrale d’Elisabeth Filhol, en dépit de l’espèce d’ennui sourd qui m’accompagne passé le premier tiers du livre, et grâce à la fluidité de cette voix simple, convaincante, qui réussit à faire de l’évocation d’un environnement technique et professionnel spécifique le récit d’une expérience humaine singulière. Mais ça reste l’histoire d’un homme au travail, qui ne parle que de son travail, c’est donc ennuyeux, c’est chiche en affects, d’autant qu’Elisabeth Filhol se garde bien de jouer sur la dimension occulte, fascinée, irrationnelle que pourrait revêtir l’atome, de jouer la carte mythologique, prométhéenne. Le lecteur qui aurait voulu s’y brûler reste sur sa faim et sur des images de camping, de mobile homes, de main d’œuvre utilisée comme du combustible. Pas très tonique, le récit d’une aliénation. Mais dans son genre, en fait, c’est plutôt réussi.

Le soir, pizza avec J* et N* à l’éternel et fourmillant Casolare, à Kreuzberg, en face du « pont des Erasmus ». Voir tous ces gens jeunes me fait un petit choc en sortant du métro, et m’amène à penser que ce n’est pas qu’une plaisanterie, certains quartiers de cette ville sont vraiment des ghettos générationnels – cela faisait quatre jours que je n’avais pas quitté ce nid de 45 ans et + qu’est notre bout du Charlottenburg chic, et j’avais commencé à oublier que l’humanité pouvait avoir un autre visage que celui d’une kinésithérapeute ridée en robe céladon tenant le bras d’un conseiller fiscal à crâne pelé et mocassins vernis.
Je n’avais pas revu J* depuis ses débuts comme auteur, c’était un soir d’hiver froid, anuité, désert, froid, dans un restaurant feutré de la Potsdamer Strasse où déjà nous dînions tous les quatre, J* n’était pas gaie, je crois qu’elles venaient de se séparer. Je la retrouve vive, bavarde, épanouie, un soir d’été chaud, ensoleillé, fourmillant, chaud, alors qu’elle vient de se faire « racheter » par une grande maison d’édition allemande où elle a la même Lektorin que Christa Wolf (son effarement quand nous lui disons que cette fonction d’éditeur-partenaire, entièrement dédié au travail littéraire avec l’auteur, qui lit, dans son cas, chapitre après chapitre à une date de remise prédéterminée, et qu’elle considère un peu comme l’accoucheur du livre, n’existe pas en France à proprement parler, à notre connaissance). J’aime sa vitalité, sa joie à corps perdu, ce qui transparaît de sa créativité, cette façon à la fois joueuse et, peut-être, soucieuse (d'un souci de vérité), d’inventer la vie, mais mon allemand rouillé et mon vocabulaire incertain tendent à me cantonner dans le rôle de témoin de ce que je suis en train de vivre. C’est con. J’aurais aimé la rencontrer.

(Je ne suis pas sûr que ce soit bien de parler comme ça à leur insu des gens dans un journal public et quasi immédiat, mais non signé. Tout en les réduisant à une initiale. Je ne suis pas sûr que ce qui me pousse à cette transparence, à ce partage, soit une bonne raison. Je transgresse la règle : dans le doute, s’abstenir. Au profit de cet impératif : quelque chose plutôt que rien. J’ai mis, à rédiger cette note, un temps trop long pour que le projet d’un journal soit viable. Tout cela manque de franchise.)

2 commentaires:

  1. Pas certaine du manque de franchise mais de l'intérêt du billet, si. D'abord pour ton avis sur le livre d'Elisabeth Filhol, de la partition générationnelle des quartiers de Berlin et du travail éditorial tel qu'en Allemagne il est fait.

    À part si tu me la présentes un jour, peu m'importe qui est réellement J* dont le J n'est peut-être pas l'initiale du vrai (pré)nom, ce qui est bon à lire c'est une façon des êtres et des choses (que tu seras sans doute content de relire longtemps plus tard, avec la connaissance du "après" ou le bonheur de retrouvailles après un relatif oubli).

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  2. J'aime venir ici, m'allonger sous les phrases et lire.

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